Makalu 8463


MAKALU 8463m

cinquième plus haut sommet du monde
Première ascension française en 1955

L’approche

Le Makalu est situé à seulement 20 km à vol d’oiseau de l’Everest mais son isolement rend son accès plus difficile.

L’ascension du Makalu se fait en « spirale », on en fait tout le tour avant de pouvoir approcher le sommet, d’abord le trekking par l’est, puis on passe sous la face sud pour rejoindre le camp de base situé au sud-ouest. L’ascension se déroule au départ en versant ouest puis à partir de 7450 m par le nord.

L’itinéraire d’approche a lieu au Népal par un trekking de dix jours franchissant plusieurs cols enneigés à plus de 4000 m , en moyenne 8 à 10 heures de marche jour, pour plus de 120 Km topo.

Trekking peut fréquenté, il permet de découvrir un Népal authentique et moins touristique.

Il faut 45 minutes de vol de Katmandou pour rejoindre Tumlingtar, un petit aéroport avec une piste en terre d’où commence le trekking.

Les deux premiers jours, une quarantaine de kilomètres de marche à travers une zone densément peuplée avec de nombreux villages, les flancs des vallées sont couverts de rizières, le climat tropical se fait bien sentir. Il pleut par ondées, nous sommes souvent dans les brumes, on se croirait en Birmanie ou au Laos. C’est de la jungle tropicale ou il fait couramment 30°c avec un fort taux d’humidité qui ne permet pas de se rendre compte du froid qu’il fera plus haut.

 

Les « Maos »

Le 05 avril rencontre avec les Maoïstes. Une femme âgée ne parlant pas anglais vient nous voir dans le village dans lequel nous passons la nuit, avec un carnet à souche que les népalais qui nous accompagnent, semblent découvrir et qui provoque rires et commentaires divers. Nous pensions que les maoïstes, bien représentés au gouvernement avaient renoncé à rançonner les touristes, mais les habitudes ont la vie dure.

Quand aux deux officiers de liaison népalais qui nous accompagnent, ils viennent de s’évaporer…

Le premier que je questionnerai haussera les épaules, quand au second après insistance de ma part, me demande :

-C’est combien ? Ha ! Pas mal !

C’est bien la peine de payer une fortune au gouvernement népalais pour une autorisation d’aller dans une zone qu’il ne contrôle pas.

 

Les passages

Le 07  Tashigaon, 2135m, dernier village « sherpa » avant la montagne.

A 2800m, nous rencontrons la neige, une grosse neige qui colle, pour les porteurs ce ne fut pas la joie, des grands couloirs assez raides sans crampons ni piolet. 8 porteurs ont fait demi-tour et deux égarés à la nuit.

Le 8 dans les nuages, il faut franchir dans la journée quatre cols : Khongma La 3920, Ghungru La 4050, Keke La 4217 et Tutu La 4148m, rien que ça.

Nous avons perdu deux porteurs de plus qui ont fait demi-tour devant la difficulté de l’itinéraire.

Passé les cols on redescend pour rejoindre à 3248 m d’altitude une longue vallée coincée entre d’immenses montagnes, qui nous conduira au camp de base. Vallée qui remonte ensuite le Barun Glacier jusqu’au pied du versant Est de l’Everest.

Le 09 à 3926 m , grève des porteurs, ceux-ci veulent faire demi-tour alors que nous sommes encore à deux jours de marche du camp de base. Parmi les porteurs certains ont été recrutés par l’agence au village de départ à Tumlingtar, situé à seulement 500m d’altitude et ne sont pas aguerris à la montagne comme peuvent l’être les « Sherpas ».

Finalement une rallonge, que de toute façon nous avions prévu de leur octroyer, les convainc de continuer jusqu’au camp de base.

Le 11 nous arrivons au « Hillary Base Camp », 4927m qui est l’ancien camp de base situé sous la face Sud du Makalu.

Cela fait longtemps déjà que tout le monde utilise le camp de base avancé, 5700 m comme camp de base situé directement au pied du glacier et départ de l’ascension, évitant 8 heures de marche inutile, dans des moraines et très exposé aux chutes de pierres.

Nous avons fait la « Puja », cérémonie traditionnelle Bouddhiste, le Lama a béni crampons, piolets, lancé du riz, introduit une petite branche dans une bouteille de Coca et asperge le tout en psalmodiant.

Le 13, nous nous installons à 5700 m ce qui est haut pour un camp de base, en général, en Himalaya, ils sont plutôt aux alentours de 5000 m.

Je partage le permis d’ascension avec une expédition brésilienne. Les Brésiliens ont pour objectif d’aller s’acclimater sur une autre montagne à proximité, ce qui fait que je vais passer dix jours au camp de base avec la seule compagnie d’un cuisinier népalais et de son aide, ne parlant qu’un anglais approximatif.

La montagne est alors très sèche ce qui risque de me poser un problème pour les prélèvements scientifiques particulièrement pour les carottages de neige.on verra.

 

L’ascension

Du camp de base, le chemin serpente le long d’un cours d’eau gelé, coincé entre un contrefort rocheux d’un côté, et d’immenses amas de glace et séracs surplombants qui permet de prendre pied sur un premier glacier central à 6000 m , puis par une moraine sur le grand glacier de 6200 m .

L’itinéraire n’est pas toujours évident, il vaut mieux s’arrêter, prendre le temps de réfléchir avant de s’engager trop rapidement dans une voie qui peut s’avérer dangereuse.

A savoir que je suis isolé en montagne et que seuls le cuisinier et son aide sont au camp de base, je n’ai pas de radio et de toute façon il leur serait impossible d’effectuer un secours.

On comprend donc tout le poids d’une mauvaise décision.

Je passe une nuit d’acclimatation à 6200 m .

Au matin, je vois que je ne suis pas suffisamment acclimaté pour en faire plus. J’empaquette tout mon matériel dans un sac en toile de jute, marque mon nom dessus.même si je suis seul.

Le sac restera à même le sol et il y a toujours le risque que de gros corbeaux curieux s’attaque au dépôt, éventrant votre sac et s’en allant déçu, laisse toutes vos affaires étalées par terre, vous avez déjà vu un corbeau refaire un sac !

Retour au camp de base. Mes deux cuistots sont ravis de me voir redescendre. Ils passent leur temps à s’engueuler, quand le « chef » n’est pas bourré ! Nous vivons, mangeons ensemble. Les premiers jours le « chef », probablement pour me faire plaisir, utilise une fourchette, puis l’habitude aidant recommence a tout faire avec ses doigts.sa tambouille et le reste. nous faisons de nombreuses parties d’échecs et je perds à chaque fois.

C’est le printemps, une bande de « Choucas » a élu domicile à proximité, guettant l’ouverture de la cuisine. Le choucas, que l’on trouve aussi dans nos montagnes, est un fin voltiguer mais a quelques difficultés pour se déplacer au sol, obligé de se dandiner de gauche a droite à la façon d’un poulet.amusante compagnie. Le reste de la journée on peut les apercevoir planant le long des contreforts nous surplombant.

Au 23, il fait toujours relativement froid avec quelques belles journées, souvent accompagnées de faibles chutes de neige en fin de journée.

Le reste de l’expédition est arrivée aujourd’hui, soit trois brésiliens et leur porteur d’altitude, le sherpa Pemba. Une sympathique équipe, forts grimpeurs aguerris au K 2, Everest et sur de nombreux autres sommets majeurs de l’Himalaya. Même si le brésil ne possède pas de « montagnes » ils ne faut pas oublier qu’il est facile d’aller s’entraîner au Pérou et en Argentine voisine ou l’on trouve des montagnes proches de 7000 m , particulièrement dans la « cordillère Blanche » qui comprend des sommets très techniques de plus de 6000 m .

Le 25, un premier camp à 6400 m , il neige abondamment.

Le lendemain nous installons le camp de 6600 m qui sera le dernier camp avant les raides pentes qui montent à Makalu La, 7400m. Makalu La est un col entre le Makalu et son satellite le Makalu 2, c’est le camp essentiel de l’ascension.

Le 26, de mauvaises conditions météo nous poussent à retourner au camp de base à 5700 m .

Nous avons planifié de monter et descendre ensemble avec les brésiliens autant que possible, pour le reste : matériel, portage. chacun s’occupe de soi. Quand a moi, fidèle à mon style, je n’ai pas de porteur d’altitude.

Nous remontons une nouvelle fois passer quelques jours à 6600 m , de nouveau les conditions météo, d’importante chute de neige et une visibilité quasi-nulle, nous empêchent d’atteindre Makalu La.

 

« La crevasse »

Je marche en mode automatique, ne pensant pas à grand-chose, Pemba est en tête quelques centaines de mètres devant suivi de Irivan, et plus loin derrière Waldemar.

Je marche la tête baissée face au sol, lève le regard et aperçoit Pemba qui me fait des grands gestes. C’est un grand glacier plat, blanc de neige, qui s’étend à perte de vue avant de s’effondrer en un immense dédale de séracs jusqu’à proximité du camp de base. On est à 6300 m .

Puis une seule personne.à la place de deux .personne ne peut disparaître aussi vite d’un si grand glacier ! Je cours, rejoint Pemba, voit le trou.

-Irivan, are you Ok! Do you hear me ?

Je ne peux m’empêcher de penser que je n’obtiendrai aucune réponse tant la crevasse est profonde. Le trou en surface est un simple trou, 1.5 m de diamètre, dans une vaste étendue de neige, rien de plus.

– Irivan, est ce que tu vas bien ou pas ?

Une réponse étouffée nous parvient d’en bas.

– Oui ! Oui !

– Tu vas bien !

– Oui.

On regarde avec Pemba et on fini par l’apercevoir debout sur un pont de neige à quelques mètres en dessous du sol.cerné par le vide et toute sa noirceur de part et d’autre.

Il a planté son piolet dans la glace lui assurant un point supplémentaire d’assurance précaire.

– As-tu une corde ? demandai-je à Pemba bien que connaissant déjà la réponse.

– Non, mais j’ai quelques sangles.

– Moi, j’ai une sangle, une broche à glace et deux mousquetons.

Nous avions laissé la plupart de notre matériel d’escalade (corde, harnais.) au camp de 6600 m ce qui nous évite de le remonter à chaque fois et l’itinéraire jusqu’a 6600 m est reconnu et balisé.

Nous mettons tout cela bout à bout et lançons cette corde de fortune à Irivan qui réussit à s’en emparer.

Waldemar nous rejoint à son tour.

– Irivan protège toi le visage, lui lance t-il.

Un coup de piolet dans d’immenses stalactites pesant bien plusieurs dizaines de kilos permet d’elargir le trou. Elles s’éffondrent dans un immense cliquetis.

Irivan commence à remonter en s’aidant de son piolet.

Sentant le moment venu, nous tirons de toutes nos forces sur la corde de fortune qu’il a saisie d’une main.

Nous le traînons sur la neige jusqu’à qu’il soit complètement sorti de la crevasse.

Il est « sain et sauf », je dirais plutôt miraculé ! Les chances de se tirer d’une chute dans une crevasse à cette altitude sont extrêmement minces.

Plus tard, au camp de base, Irivan me raconte sa mésaventure:

– Je me suis retrouvé stoppé au dessus du vide en opposition avec d’un coté mes pointes avant de crampons plantés dans la glace et mon sac à doc de l’autre côté qui contenait par chance mon duvet. Je n’ai pas eu a réfléchir pour savoir ce qui venait d’arriver. J’étais tombé dans une crevasse et ma première pensée fut : nous n’avons de corde !

– Ha, oui, moi aussi.

– J’ai vu sur la droite un pont de neige, j’ai planté mon piolet avec une energie hors du commun et pu le rejoindre avant de m’apercevoir qu’il n’était pas très solide.ma situation n’était pas très confortable.

Dans des circonstances exceptionnelles comme celle-ci, les capacités humaines sont démultipliées, le temps de réaction et la puissance physique augmentée.

Il nous reste deux semaines pour tenter le sommet. Irivan, qui a été légèrement blessé, est toujours partant. Nous ne sommes que cinq dans la montagne et Irivan est un grimpeur complet et expérimenté qui aurait sérieusement fait défaut si il avait été blessé de façon plus importante.

Les prélèvements scientifiques ont bien marché, il ne m’en reste que peu à faire.

Le 09/05 départ pour 6600, après quelques jours d’attente à 6600, il faut de nouveau redescendre suite à un bulletin météo défavorable.

La fatigue accumulée lors des nombreuses montées comme les nuits 6600 m sans pouvoir progresser commence à se faire sentir.

 

« La tentative »

Le 14 nouveau départ pour tenter le sommet. Nuit à 6600, le lendemain nous mettons 12 heures pour arriver à 7450 m compte tenu des importantes chutes de neige de ces derniers jours. Le lendemain départ pour le camp de 7800 m , ce n’est pas la grande forme, je fais demi tour et décide de rester une nuit de plus à Makalu La. Le lendemain départ à cinq heures du matin, mon plan était de partir plus tôt pour tenter le sommet mais dans la nuit il fait encore trop froid.

Je rejoins les brésiliens un peu plus avancés à 7600m, j’ai du refaire la trace, il y a vraiment trop de neige, j’aperçois le sommet au loin et je me rends bien compte que pousser davantage ne servirai à rien sauf à prendre des risques inutiles. Je décide à ce moment d’abandonner sachant qu’il reste la redescente.et que j’ai pas mal de matériels à récupérer.

Je passe une nuit de plus à Makalu La, 7450, puis à 6600 m ou me rejoignent les autres qui ont également abandonné. Nous sommes tous marqués par l’effort.

Tout le monde rejoint le camp de base « sain et sauf ».

Compte tenu des conditions (crevasses, neige, seulement cinq personnes pour une montagne telle que le Makalu.) c’est déjà bien.

L’aspect « climat et environnement » est un succès, de nombreux prélèvements ont été rapatriés en France et vont être analysés.

Avant, il nous faudra quand même marcher pendant dix jours pour rejoindre Katmandou soit 60 jours en tout, dont 20 de trekking et 40 au dessus de 5700 m. de quoi perdre quelques kilos.

Pour cette année, il n’y aura personne au sommet du Makalu.