everest 8850

Afin de faciliter la compréhension des diverses étapes de l’expédition,
vous pourrez vous reporter à cette photo décrivant le haut du cheminement de la voie Nord.

Mise en place

Malgré les événements révolutionnaires népalais, j’ai réussi à passer une période dans le massif des Annapurna du 20 au 30 avril.

J’en ai tiré un bon bénéfice physique et une pré acclimatation à l’altitude, tout en me mettant à l’écart des violents désordres de Katmandu, où il ne valait mieux pas traîner.

Le 2 mai, je passe à l’agence pour organiser le départ.

D’abord, se mettre en règle avec les dieux locaux. C’est prévu et organisé : un lama mène un cérémonial à raison d’un tarif de 15 USD, il me remet le cordon de « good luck » que je dois conserver autour du cou jusqu’au sommet.

En guise de conclusion : une bénédiction en brandissant sur ma tête une boîte à prière, et c’est bon.

Ma méthode : ascension seul de l’Everest par la voie nord, versant tibétain sans aide extérieure, ni sherpa. Bref, en autonomie, donc en totale liberté d’action.

Le 05 mai, départ de Katmandu pour le camp de base chinois au Tibet.

Le 06, passage de la frontière chinoise et rencontre avec l’officier de liaison en charge de l’expédition.

Du 06 au 10, traversée des plateaux tibétains en 4×4, en respectant les règles d’acclimatation, à savoir quatre jours pour aller au camp de base. Nous ferons halte dans les localités de Xegar et Tingri.

Le 10, arrivée au camp de base, installation des tentes, cuisines.

Le camp de base (BC), 5200 m , se situe au Nord de l’Everest, sachant que l’Everest se gravit soit par le Nord (Tibet), ou le Sud (Népal), cette dernière étant considérée comme la voie « normale ».

Les expéditions sont réparties de façon à peu près égale sur les deux versants.

L’ascension commence réellement à partir du camp de base avancé (ABC), 6400 m , à 22 Kms de là, d’où l’importance de pouvoir bénéficier de deux camps de base à des altitudes progressives : 5200 m puis 6400.

Bien entendu, toute la logistique est en double : deux cuisiniers, tentes …etc.

Le camp de base chinois (BC, 5200 m ) se trouve sur un grand plat caillouteux, en permanence battu par des vents violents et froids, un endroit désagréable, où l’on peut rarement se séparer de sa doudoune.

Le 13, les yaks de transport fournis par l’agence doivent être à notre disposition.

Alors que nous avons payé cette prestation contractuelle, l’officier de liaison exige 750 USD en liquide. Nous refusons. L’agence népalaise que nous utilisons n’est pas en défaut, il s’agit juste d’un « supplément chinois… ».

Le 14, les yaks ne sont toujours pas là. Les membres de l’expédition s’impatientent, ils veulent a tout prix rallier le camp de base avancé à 6400 m , bien qu’il n’y ai aucune urgence.

Dans cette situation qui peut durer, nous payons.

Le 15, l’expédition quitte le CB pour « l’advance base camp » (ABC).

Ma stratégie est différente des autres membres de l’expédition que j’ai rallié uniquement pour une raison d’autorisation administrative.

Je conserve donc une totale autonomie par rapport aux autres membres qui utilisent des sherpas, et n’ont donc pas les mêmes tactiques d’ascension.

Ils montent donc tous au camp de base avancé le 15, alors que je reste seul au CB que je ne quitterai que le 20.

Je souhaite, comme à mon habitude, passer le moins de temps en haute altitude.

Le 21, départ pour l’ABC et nuit à la belle étoile à 5800 m .

Le 22, arrivée à l’ABC, ou je dors dans la « dining tente ».

Je suis très bien acclimaté grâce au trekking réalisé au préalable dans le massif des Annapurna. Le 23 « rest day ».

Le 24, montée, portage et installation au camp 1, 7000 m , dit « col nord », nuit à 7000 m .

Le col nord est un camp regroupant une dizaine de tentes, et même d’avantage.regroupées à l’abri du vent sous un énorme sérac.

Le 25, retour à l’ABC, et le 27, descente au CB.

Mon acclimatation est faite, je ne remonterai que pour tenter le sommet.

Les rumeurs circulent : « les coréens veulent tenter le 5, des sherpas. ».
Pas de panique, avant le 10-15 mai, il fait trop froid et les risques de gelures sont trop importants.

Je ne bouge plus jusqu’au 4 mai, ou contraint et forcé par mon cuisinier du camp de base chinois (BC) en panne de rations alimentaires, je suis obligé de remonter à l’ABC, avant le 10 mai comme prévoyait mon planning.

Du 5 au 10, attente à l’ABC (6400).

Les premières rumeurs concernant une tentative au 13-14 mai se précisent.

Je regrette vraiment d’avoir à attendre à 6400 mètres , ce qui est la hauteur d’un camp d’altitude, mais pas du tout celle d’un camp de base, c’est trop haut !

Ici l’altitude se fait sentir, pas étonnant que ceux qui y restent toute la durée de l’expédition ne tiennent plus debout avant la fin. L’appétit et le sommeil sont tous deux déclinants sans que l’on puisse rien y faire.et pendant ce temps la forme physique se dégrade.

Peut-être cela explique certains drames qui vont suivre.

Le 10, pour tester mon acclimatation, je fais une ascension express aller-retour dans la journée de l’ABC (6400) à camp 2 (7500), ça va. Je confirme ma bonne condition.

Les prévisions météo évoluent et nous donnent des « summit days » pour le 17-18 mai.

Je pars le 14 mai pour le col Nord.

Je suis chargé comme une mule : tente, combinaison, une seule bouteille d’oxygène.

Au départ, je ne souhaitais pas utiliser d’oxygène, mais devant les risques particuliers liés à l’ascension de l’Everest, j’ai préféré jouer la sécurité tout en gardant un style d’ascension épuré : l’autonomie réduite d’une bouteille ne me permettra que de tenter le finish, et je l’utiliserai le plus tard et le plus haut possible.

Les sherpas en utilisent le plus souvent trois et leurs clients de quatre à huit, mais je suis seul à tout porter.

J ai décidé de monter mon matériel le plus tard possible afin d’éviter sa perte éventuelle, alors que la plupart des grosses expéditions ont déjà tout fait monter par leurs sherpas jusqu’à 8300.

 

Vers le sommet

Nuit du 14 au 15 mai au col nord, 7000 m .

Le 15, 7500 mètres , je commence à regretter d’avoir à faire un gros portage les derniers jours, je le paye de quelques crampes le jour même.

Le 15-16 nuit à 7500 mètres .

Le fort vent le 16, comme mes crampes, me décide de rester une nuit de plus à 7500.

Je préfère avoir de meilleures conditions pour continuer à monter.

Le 17, je monte à 7900 mètres, j’ai un arrangement avec d’autres grimpeurs, ils peuvent utiliser ma tente de 7500m et je peux utiliser celle qu’ils ont à 7900m.

A 09 heures du soir je quitte la tente pour le sommet, un fort vent me fait abandonner après quelques minutes, retour à la tente. Un petit somme, et à minuit, plus de vent, je peux apercevoir des lampes frontales évoluant sur l’arête sommitale : des alpinistes partis de 8300 mètres à 9 heures du soir.

C’est le bon moment. Je suis dans mon planning, jusque là les événements se sont déroulés comme prévu et je suis très déterminé. Je démarre donc de nuit à la lampe frontale. Il est minuit.

Je mets trois heures pour arriver vers 3.30 heures à 8300 m , au camp « de la mort ».

Il émane une ambiance surnaturelle, d’animaux imaginaires, une lumière étrange.

Seul, il vaut mieux maîtriser son imagination sinon le délire s’installe et la lucidité s’en va.

Je mets une heure pour mettre pied sur l’arête sommitale à 8500, il est quatre heures trente du matin.

Maintenant, je suis dans la zone critique et il ne faut commettre aucune erreur ou c’est la mort assurée.

Je marche à bon rythme et rattrape quelques grimpeurs, franchi les trois « steps », à savoir trois passages rocheux dont le second est vertical sur trente mètres, je suis à 8600 mètres . Il s’agit de la seule difficulté technique rencontrée sachant que les équipements prédisposés permettent le franchissement. Le jour se lève, très froid..je commence à ralentir, mes pieds deviennent insensibles.

Je branche mon masque sur la bouteille, ouvre un débit minimum, ça fonctionne.

 

Le sommet

Après avoir gravi la pyramide sommitale, une courte traversée permet de rejoindre l’antécime.

Et j’aperçois le sommet !

Encore un effort et j’y suis : 8850 mètres*, le 18 mai à 10.20 du matin. Je plante mon piolet Simond sur la crête. Je l’ai fait !

A mon arrivée au sommet sont déjà présents trois personnes de l’expédition « d’Everest Peace Projet » et .. Trois polonais tournant un film (à l’Everest tout le monde tourne un film…) et un sherpa, tous les quatre venant du sud ! Amusant, la rencontre en même temps de gens arrivant du nord (Tibet) et de l’autre coté de la montagne, au sud (Népal).

L’un des membres d’ « Everest Peace Projet », sud africain, n’est pas au mieux de sa forme, il amorce la descente soutenu par les deux autres.

Je reste pour faire des photos, tout le monde s’en va, je reste seul au sommet, le vent commence à forcir.

Tout est ralenti, le temps semble suspendu, mes gestes sont lents, je m’engourdis. Je me reprends et amorce la descente.

 

La descente ou la « mort aux trousses »

Je rejoints l’expédition « Everest peace project » à qui je propose mon aide pour la descente, ils déclinent l’offre.

Le temps se bouche, la température baisse, la visibilité se réduit.

J’aperçois une forme : c’est un cadavre !

Je n’ai pas envie de traîner. Plus loin encore un autre, sur le passage et qu’il faut enjamber.

Je croiserai ainsi cinq morts sur une distance inférieure à un kilomètre.

Le fort vent du sommet s’est transformé en tempête, me forçant à me réfugier dans ma tente de départ à 7900 m alors que je comptais descendre au camp de base le même jour.

Je m’installe, retire mes chaussures d’altitude, et ça barde dehors.

A 18 heures, le vent à l’extérieur de la tente est vraiment très violent, le bruit assourdissant.

Brutalement, une violente dépression, la tente explose, et me voilà « à poil » dans une soufflerie glacée, le Jet-stream a frappé !

J’essaie de retenir mes affaires qui volent autour de moi, je n’ai pas de gants, je rassemble ce que je peux dans mon sac en essayant de récupérer l’essentiel.

Je cherche autour de moi sans gants et sans chaussures par moins 30.

Essayez de redescendre de 7900 m sans chaussures ! Je me réfugie dans une tente à proximité, pourvu qu’elle tienne ! J’espère que la bénédiction du lama de Katmandu va fonctionner !

« Une nuit en enfer » sans dormir et dans une ambiance de fin du monde.

Au matin, le vent faiblit mais reste fort.

J’ai très soif, je n’ai plus de réchaud (perdu avec la tente) pour faire de l’eau, je n’ai pas bu depuis plus de trente heures alors que les efforts en altitude et le grand froid déshydratent.

Je descends au camp de 7500 m, sur le chemin de nombreuses tentes sont éventrées, du matériel est dispersé partout au sol.

Il n’y a plus personne dans la voie et je suis seul dans la montagne.

Vers 16 heures, de retour à l’ABC, épuisé par la déshydratation.

J’apprends que le Sud-Africain de l’expédition Everest peace project s’en est tiré mais souffre de très importantes gelures aux pieds et mains et que le Brésilien rencontré au sommet a été secouru par ses sherpas mais est mort à 8300.

Je m’occupe à reconditionner tout l’équipement qu’il me reste.

En fait, mon état général se révèle meilleur qu’en 2005 ou j’avais fais le sommet du Nanga Parbat ( 8126 mètres ) en perdant plus de dix kilos.

voir les personnes au sommet ce jour : himalayan database

 

Quelques réflexions.

La polémique fait rage sur CNN et dans le Time, 15 morts à la fin mai 2006. Difficulté à vérifier l’exactitude des décès pour l’instant, ceux-ci ont besoin d’être confirmés.

« Dr Andrew Sutherland, a medical advisor on Everest expeditions, says unofficial figures show 15 people died in 2006. The death rate has remained at one death for every 10 successful attempts to climb Everest for many years, the British Medical Journal report states. » selon le site Internet BBC news.

Qu’à t-il bien pu se passer ? Surtout que tous ces morts n’ont aucun lien entre eux, et qu’aucune avalanche n’est venue raser un camp.

De nationalité, de causes de décès différentes, des jours différents, de participants à différentes expéditions : j’ai pu dénombrer deux Coréens le 12 mai, un Anglais le 15, un Indien le 14, le 17 : deux Norvégiens, toujours le 17 un Français , un Brésilien le 18, un Australien, deux Russes, un Sherpa népalais, à ma connaissance trois autres morts versant sud.

Sans compter tous ceux qui sont redescendu à la limite de la mort soutenus par leurs Sherpa népalais.

De quoi sont ils morts ? Epuisement, oedèmes liés à l’altitude, chutes.

La plupart de ces accidents ont eu lieu dans la « zone de la mort », au dessus de 8500 mètres où tout secours reste très difficile à entreprendre.

Sans équipe, ni Sherpa, il faut impérativement prendre en compte le fait que tu ne peux attendre aucun secours des grosses expés.. Pas la peine de s’encombrer d’une radio.

De plus ces chiffres ne prennent pas en compte les innombrables secours effectués au quotidien plus bas.

Il faut bien dire que l’ascension de l’Everest reste particulièrement périlleuse et que chaque année on dénombre de nombreuses victimes.

Les victimes sont aussi bien des guides, sherpas et himalayistes confirmés, comme des grimpeurs inexpérimentés, majoritairement victimes de l’altitude comme d’épuisement.

Les grimpeurs autonomes sont expérimentés mais obligés à davantage d’efforts que les néophytes solidement encadrés par les expéditions commerciales. Ceci peut expliquer pourquoi on dénombre pas mal de victimes chez les grimpeurs de haut niveau.

La météo, même si l’on peut faire des bulletins météo très précis il reste toujours une chance d’être pris dans une violente tempête abaissant fortement les températures, j’en ai fais l’expérience.

* Nouvelle mesure de l’Everest à 8850 mètres contre 8848 mètres .

La mesure chinoise étant de 8844 mètres .

* Les « seven summits » sont les sommets retenus pour l’ensemble de la planète et répartis sur tous les continents : Everest, Népal. Aconcagua , Argentina . McKinley , Alaska . Kilimanjaro , Tanzania . Elbrus , Russia . Vinson, Antarctica . Carstensz , Indonesia .